« Alain, c’est un cauchemar national et universel. Et de la crêperie au trois-étoiles, on est tous concernés, tous fermés, tous dans la merde. » « Alain », c’est Ducasse.

Et celui qui l’apostrophe ainsi, c’est Philippe Etchebest, également invité le 22 avril dans l’émission « C à vous » sur France 5. Le débat porte sur la date de réouverture des restaurants, qu’Alain Ducasse souhaiterait la plus proche possible. Connecté en visioconférence, Philippe Etchebest affiche son scepticisme.

« On n’est pas essentiels à la vie des gens, il faut accepter que ça prenne du temps avant que la clientèle ne revienne », Pierre Gagnaire, chef cuisinier.

 

 

Deux jours plus tôt, les antagonismes se sont aussi fait sentir lors de la parution d’une lettre ouverte du Collège culinaire de France (CCF) dans le Figaro, qui demandait « l’autorisation de retravailler au plus vite ». Signée par dix-huit chefs au nombre incalculable d’étoiles, elle a rapidement été désavouée par la plupart d’entre eux, qui assuraient n’avoir pas été consultés sur le sujet. « Dans cette lettre, Alain Ducasse [coprésident du CCF] parlait pour lui plus que pour le groupe », estime Emmanuel Renaut, le triplement étoilé de Megève.

Alain Ducasse ne fait pas consensus, ce n’est pas nouveau. Depuis le début du confinement, de nombreuses initiatives ont été lancées pour défendre les intérêts du secteur, mais plutôt en ordre dispersé, sans qu’aucune ne fédère vraiment l’ensemble des acteurs. Michel Sarran a interpellé le président via son compte Instagram pour demander la suppression des charges sociales, Stéphane Jégo a lancé une pétition pour enjoindre aux assurances de prendre leurs responsabilités, Stéphane Manigold a assigné son assureur en justice, lui reprochant de refuser de couvrir les pertes d’exploitation. « Il faut arrêter les pétitions, on veut aller trop vite, estime Pierre Gagnaire, qui a déjà fait l’expérience de la débâcle quand son trois-étoiles de Saint-Etienne a fait faillite, en 1996. On n’est pas essentiels à la vie des gens, il faut accepter que ça prenne du temps avant que la clientèle ne revienne. »

  Pierre Gagnaire, le chef aux 16 étoiles

Les chefs moins médiatiques semblent aussi faire cavalier seul dans leurs démarches. « Ma priorité, c’est d’aider les agriculteurs français que l’on ne fait plus travailler. J’ai lancé une pétition, j’ai demandé à d’autres chefs de la faire circuler. Je n’ai pas vraiment reçu de réponse », déplore Victor Mercier, chef du restaurant Fief à Paris. Même forme de déception chez Guillaume Sanchez, qui cuisine pour les soignants depuis le début du confinement et affirme que « la plupart des chefs à qui [il a] demandé de filer un coup de main n’ont rien fait ». Pourtant, la profession s’est largement mobilisée pour venir en aide aux hôpitaux. D’où vient ce sentiment de solitude alors que, comme le souligne justement Philippe Etchebest, tous sont dans le même bateau ?